Junomia, la déesse papillon, n'avait plus aucun secret pour la belle fantomatique quand elle quitta l'université d'Oak pour rejoindre les monts de Saphir. Elle savait exactement ce qu'elle cherchait, les livres mentionnant avec précision l'apparence et les effets de l'artefact en question. Il s'agissait d'une petite statuette, à peine plus grande qu'une phalange, sculptée dans une corne de licorne, à l'époque lointaine où chasser ces animaux n'étaient pas un délit répréhensible. Ce petit objet était hautement magique et permettait, selon la légende, de cacher les plus lourds secrets en les plaçant sous la protection de Junomia, papillon des illusions. Après ses recherches, Pandore réussit à tirer quelques vérités derrière le mythe. La statuette, une fois activée, permettait simplement l'invisibilité en créant un champ d'illusions complexes autour de l'objet.

A proximité des montagnes, Pandore tira de sa poche un petit carnet et étudia le plan qu'elle avait griffonné sur ses pages. En soit, le trajet n'était ni compliqué, ni long, mais la jeune femme savait que des bandes de créatures peu amicales rôdaient dans les parages. Si elle ne souhaitait pas avoir de mauvaise surprise, elle devait faire attention à ne pas se faire repérer. ce qui expliquait la légèreté de son équipement. Hormis des vêtements d'un gris soutenu, aussi laids qu'ils étaient confortables, la jeune femme s'était muni d'une ceinture de rangement où elle avait accroché une gourde et quelques sucreries. Le voyage ne devait durer qu'une journée, aller-retour, si tout se passait bien, nul besoin d'emporter sa maison avec elle pour si peu.

L'aube se levait tout juste, le vent frais jouait dans ses cheveux d'ébènes, tandis qu'elle repérait le passage qui correspondait à sa feuille de route. Pour atteindre la grotte où se trouvait l'artefact, Pandore devait suivre un passage creusé par l'érosion. Aujourd'hui asséché, il avait dans le temps constitué une rivière de montagne et son lit était en théorie praticable et sûr. La région était déserte, donc ne constituait aucun intérêt pour la faune montagnarde.

Ce chemin s'avéra en effet tranquille une bonne partie du trajet. Pandore progressait lentement à cause de sa mauvaise condition physique mais à une allure constante et sans rencontrer de réelle difficulté. Le terrain, bien qu'escarpé, ne cachait aucune crevasse ou danger particulier. Il suffisait d'un peu d'attention et de prudence pour éviter tout problème. Après deux heures de marche, la jeune femme s'autorisa une pause à l'ombre d'un renfoncement. L'air commençait à se faire rare, Pandore haletait à moitié. Comme un étau qu'on aurait resserré autour de sa poitrine pour l'empêcher de respirer. La sensation l'oppressait car elle n'en avait pas l'habitude, mais après une dizaine de minutes et une rasade d'eau, elle parvint à en faire abstraction.

La suite se révéla bien plus problématique.
A de nombreuses reprises, elle dut s'arrêter et tendre l'oreille : des groupes de bestioles s'agitaient autour d'elle. Ne sachant pas de quoi il s'agissait et ne souhaitant pas le découvrir, l'impératrice libéra un peu de sa magie pour cacher sa présence aux radars des animaux.
Ralentie dans sa progression, Pandore s'agaçait. Comme il était frustrant de devoir se cacher là où il lui aurait suffi d'avancer et d'exterminer toute créature osant s'approcher trop près. Foutu sceau et foutu conseil. Pour toutes les humiliations qu'il lui avait fait subir, il méritait de disparaître. En silence, la sombre dame réitéra sa promesse de mort envers le conseil.

A peine avait-elle fini qu'un essaim de diablotins traversa la rigole sous ses yeux. Surprise par cette apparition soudaine, Pandore se redressa et envoya sa magie lunaire droit sur les créatures qui tombèrent comme des mouches. La dizaine d'individus s'écroula ici et là avant d'avoir eu le temps de répliquer. Un petit sourire filtra sur le visage de la jeune femme : finalement elle avait encore de la ressource. Satisfaction de courte durée.

Des battements d'ailes résonnaient tout autour d'elle. Un rapide coup d'oeil lui confirma qu'elle venait de se signaler à un nid entier de diablotins. Combien étaient-ils au juste ? Elle l'ignorait mais elle était encore assez lucide pour comprendre qu'elle n'avait aucune chance de tous les abattre. Sa dernière chance était de fuir et vite.

Prenant ses jambes à son cou, Pandore se fraya un chemin grâce à une deuxième vague de magie à travers les bestioles et fonça aussi vite que son coeur le lui permettait pour semer les créatures. Plusieurs fois, des diablotins la rattrapèrent, griffant à qui ses jambes, à qui ses bras avant de finir écrasés sur les parois ou sous les pieds de la fuyarde qui préférait préserver sa magie aussi longtemps que possible.

Le souffle commençait à manquer à la ténébreuse. Depuis une dizaine de minutes qu'elle crapahutait à travers la montagne pour échapper à ses poursuivants, les diablotins ne lui faisaient aucun cadeau. Ils la griffaient dès qu'ils le pouvaient, pinçaient sa peau entre leurs petites dents et s'emmêlaient dans ses longs cheveux d'ébène. Pandore sentait ses forces la quitter peu à peu lorsque se profila son dernier espoir.

A quelques mètres, l'entrée d'une grotte et se devait être celle où se trouvait l'artefact de Junomia. La jeune femme se raccrocha à cette idée pour fournir une dernière accélération. Elle prit un peu d'avance sur l'essaim de diablotins et s'engouffra dans le trou noir sans la moindre hésitation.

Quelques pas à peine dans la grotte suffirent à faire remarquer à Pandore une étrange substance sur les parois. Avec la faible luminosité, ce n'était que des reflets plus clairs et luisants mais en y prêtant plus attention, cela ressemblait à des fils qui continuaient même entre les murs de pierre. Comme... comme une toile d'araignée.

Bonne nouvelle !
Avec cela, elle serait au moins débarrassée des diables. Elle entendait d'ailleurs le vrombissement de leurs ailes se rapprocher de plus en plus. Ils n'allaient pas tarder à entrer dans la grotte pour la poursuivre. Il fallait vite se mettre dans un coin et les laisser s'empêtrer dans les toiles, puis laisser les tisseuses se charger de leurs comptes.

La noble demoiselle contourna donc la première toile et s'engouffra dans quelques passages qu'elle jugea sûr, avant de trouver une petite alcôve où elle pourrait se tapir. Le plus discrètement possible, elle se laissa tomber sur le sol pour reprendre son souffle. Elle se rendit compte alors que son coeur battait beaucoup trop fort. De telles courses poursuites n'étaient pas bon pour elle. Mais la brûlure dans sa poitrine lui avait manqué, après cinquante ans privée de de toute sensation.

Pendant que l'impératrice tâchait de récupérer, les diablotins s'infiltraient en masse dans la grotte, se collant comme des insectes sur toutes les toiles qui tapissaient la grotte. Le vacarme qu'ils produisaient serait un atout supplémentaire pour la dame. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que de grosses masses aux huit pattes agiles fassent leur apparition. Attirées par le bruit et les vibrations de leurs toiles, les arachnides se jetèrent sur leur festin, sans se soucier de la petite humaine recroquevillée dans un coin.

Une fois à peu près remise, Pandore sortit sa petite carte et retraça grossièrement son chemin dessus. Comme elle l'avait espéré, cette grotte paraissait être la bonne. C'était déjà ça. Il lui fallait maintenant explorer l'endroit.
La dame se releva et s'enfonça lentement dans la caverne, non sans jeter un regard en arrière pour s'assurer que les occupantes aux nombreuses pattes étaient bien occupées ailleurs.

La fouille s'avéra particulièrement longue. Des heures durant, l'impératrice tourna dans les galeries sans rien trouver d'autres que des oeufs d'araignées, des toiles qu'elle prenait grand soin de ne pas toucher et quelques cristaux qui éclairaient les tunnels ici et là. La dame fut obligée de prendre une pause pour se restaurer et s'hydrater avant de reprendre ses recherches.

Elle commençait d'ailleurs à avoir des doutes sur la présence de la statuette dans ces lieux. S'était-elle trompée de grotte au final ? Probable. Mais il restait une dernière branche qu'elle n'avait pas visité. Lasse mais toujours alerte, la jeune femme se figea quand elle débarqua dans la dernière alcôve. Il y avait très peu de lumière mais elle distinguait du mouvement dans les ombres du plafond. Un grouillement d'araignées. Pandore se trouvait au coeur du nid.

Mieux valait pour elle ne pas poursuivre là-dedans. Pour ne pas avoir de regret, la dame s'obligea à analyser l'endroit avant de partir. Au plafond, il n'y avait que des araignées en plein travail, sur les murs, il n'y avait rien d'autres que des centaines d'oeufs éclos ou pleins. Mais au sol, parmi les coquilles vides, son regard acéré accrocha une forme plus longue et apparemment sculptée. De là où elle se trouvait, elle ne pouvait l'identifier plus précisément mais il y avait de grandes chances pour que cela soit ce qu'elle cherchait.

Elle n'avait donc finalement pas d'autres choix que de s'aventurer au coeur du nid. Un frisson de dégoût remonta le long de son dos quand elle s'avança sous le plafond grouillant. Les quelques mètres qu'elle avait à parcourir pour atteindre la statuette lui prirent une bonne vingtaine de minutes, si bien qu'elle avait l'impression de faire du sur place. Retirant une à une les coquilles de son chemin pour ne pas faire de bruit, Pandore parvint enfin à son but et sans demander son reste, elle se saisit délicatement de la statuette, la mit dans son sac et rebroussa chemin.

Elle vérifierait qu'il s'agissait bien de la statue qu'elle cherchait plus tard. Sortir était sa priorité et l'opération s'avéra tout aussi longue qu'à l'allée, à son grand désarroi.

Cependant, une fois à la lumière du jour, quitter les monts de Saphir lui sembla beaucoup plus rapide que la première fois.

Au premier village qu'elle croisa, Pandore prit une chambre et s'écroula, épuisée. Juste avant de tomber de fatigue, elle compara la statue trouvée aux représentations trouvées dans les livres de l'université d'Oak. Les deux correspondaient.

Pandore s'endormit en serrant contre elle le petit objet.
Son commanditaire reçut quelques semaines plus tard une lettre pour lui indiquer l'échec de la mission : il n'y avait rien en rapport avec Junomia dans les monts de Saphir...